3) QUI aurait bien pu se cacher sous le pseudonyme de Shakespeare ?
La silhouette semble assez précise : un contemporain né vers 1560 et mort probablement aux alentours de 1615 ? Un lettré de haute naissance ou éducation ? Mieux, un érudit sorti d'Oxford ou de Cambridge avec un bagage assez éclectique pour traiter du siège de Troie dans "Troïlus et Cressida" ; d'histoire romaine dans "Jules César", "Antoine et Cléopâtre" ; de droit dans "Le Marchand de Venise" ; de pathologie mentale dans "Macbeth" et "Le Roi Lear" ; de navigation dans "La Tempête" ; etc. Bref d'un homme d'expérience : grand voyageur, grand amant, au fait des intrigues de la Cour, en rapport avec la police et les chancelleries, mais qui, pour quelque motif : soit dignité sociale soit peur de poursuites, aurait choisi l'incognito !
Une douzaine de personnages répondaient déjà à ces conditions dont on fait autant de "Shakespeare" possibles :
- Francis Bacon qui rallie le plus de suffrages,
- Roger Manners, Comte de Rutland, cinquième du nom,
- William Stanley, Comte de Derby, sixième du nom,
- Henry Wriothesley, Comte de Southampton, troisième du nom,
- Edouard de Vere, Comte d'Oxford, dix-septième du nom,
- Christopher Marlowe,
- Etc. nous ne pouvons pas tous les citer, la liste étant bien trop longue !
C'est à l'américain Joseph Coleman Hart (1798/1855) que remonte en 1848 l'idée plaisante de "détrôner Shakespeare".
Huit ans plus tard, un article du "Putnam's Monthly" allait rendre à jamais célèbre, Miss Delia Bacon : selon elle, son illustre homonyme avait, en plus de ses travaux philosophiques, rédigé les pièces du barde ! À vrai dire - l'argumentation n'étant pas le fort de Miss Bacon qui devait finir dans un asile d'aliénés -, il s'agissait plutôt d'une intuition que d'une thèse !
En 1883, la controverse allait rebondir et on procéda à l'étude comparée des textes de Shakespeare et de Bacon. Le mérite en revient à Mrs. Henry Pott (1833/1915), qui, dans son édition des notes du philosophe devait dénombrer 4400 analogies avec le théâtre shakespearien !
En 1988, on pratiqua le décryptage. L'initiateur Ignatius Donnelly et ses disciples parvenaient finalement à déchiffrer sous les écrits de Shakespeare et de Bacon, des messages secrets établissant la suzeraineté de celui-ci sur celui-là.
De cette thèse baconienne, on peut choisir comme un bon exemple : "The mystery of William Shakespeare" du Juge Thomas E. Webb (1921/1903), dans lequel se conjuguent toutes ces recherches et ces trouvailles. Le Docteur Webb récuse l'authenticité du Folio de 1623. Il dit en effet qu'il faudrait distinguer entre l'acteur Shakespeare, "médiocre personnage" dont nous connaissons les faits et gestes, et le poète Shakespeare, pseudonyme de Francis Bacon, lequel aurait dû recourir à ce subterfuge pour raisons politiques, le théâtre étant incompatible avec la dignité d'administrateur. La preuve avancée ? un aveu qui serait paraît-il décisif :
"Pourquoi me faut-il toujours écrire de même
Et toujours composer de constante façon
Au point que chaque mot trahit presque mon nom
Et révèle son origine et mon emblème ?" (dans "Sonnets LXXVI)
La similitude des tournures dont usent le poète et le philosophe démontre aussi - paraît-il - leur identité.
Dans le prochain article, nous verrons l'analyse d'Abel Lefranc qui attribue la paternité du canon shakespearien à William Stanley, sixième Comte de Derby.