Toujours dans la partie 3 sur la proposition de Jean PARIS, ci-après le dernier article. J'ai trouvé préférable de recopier en "plusieurs fois" cet exposé datant de la fin des années 1960 afin d'en faciliter la lecture. Je sais que les amateurs de théâtre shakespearien, en interrogeant Internet, peuvent trouver une mine de renseignements sur lui et son oeuvre ! Cependant, depuis longtemps, j'avais envie de partager cet exposé, travail manuscrit qui m'avait demandé beaucoup de temps à l'époque.
b) Qui est Shakespeare ?
Cet "homme de théâtre jusqu'à la moëlle" dira de lui Henri Fluchère (1898/1987), angliciste, Commandeur de l'Empire Britannique en 1963, et par là s'expliquent les fameuses contradictions entre son oeuvre et sa biographie.
Qui, plus aisément qu'un comédien, saurait : le matin "assigner un gueux en justice" et le soir "prêcher au parterre la charité" ? Cette surprenante capacité d'assumer mille et une figures marque en profondeur les oeuvres du poète. Dans un bel essai sur William Shakespeare, je cite Shakespeare's Imagery, and what it tells us, Caroline Spurgeon a souligné cette virtuosité, cette versatilité qui se traduit dans le style par la hantise de la mobilité, de la métamorphose : verbes de mouvement, animation des choses, substitutions d'effets, néologismes, élisions, onomatopées... tout lui est bon pour faire de son langage la plus vaste et la plus diverse expression de l'homme.
Tous ces caractères sont autant de projections de l'être profond. Ils actualisent l'acteur profond que chacun porte en soi. Et c'est dans la mesure où la personne lui paraît si anarchique que Shakespeare réclame une "politique d'ordre" :
Ainsi, dès les premières pièces, voyons-nous s'ébaucher le thème que "Antoine et Cléopâtre", "Troïlus et Cressida", "Mesure pour Mesure" reprendront principalement : "nulle paix dans la cité, nulle dignité dans l'homme n'est durable sans discipline" !
Champion d'un ordre stable, ennemi des factions* (*groupe armé ou politique qui exerce une lutte d'influence au sein d'un ensemble plus large ; par extension dans d'autres domaines), Shakespeare entend que cet ordre se fonde sur le mérite ou le travail.
Que représente cette politique ?
Imagine-t-on un intrigant comme Bacon, un féodal comme Derby... encensant ainsi "la légitimité" ? Non, celui qui prêche ici, c'est comme l'envers du comédien : le bourgeois de Stratford, le gros propriétaire terrien dont le bon sens défend ses terres et maisons contre les deux fléaux qui les menacent : "excès des Grands et révolte des Petits" !
Le poète partage avec entrain l'idéologie officielle, celle des Tudor : en soutenant sa classe, il soutient leur politique éclairée, dynamique, prospère. Sa propre réussite, n'est-ce point d'ailleurs celle de cette Angleterre qui, en moins de cent ans, vient de passer de l'âge médiéval à la puissance moderne ?
Mais ce bel exploit est une dure conquête menacée de déclin, où renaissent sans cesse "les germes du chaos, des rivalités dynastiques, de la guerre". Ainsi l'Etat lui-même n'échappe pas plus au théâtre que les monarques à la mort, et nous voici revenus par ce long détour à "l'incertitude de notre condition". Toute l'oeuvre de Shakespeare tente de répondre à cette angoisse. Pour lui, tout est masque, et c'est parce que la connaissance nous est refusée qu'il faudra, pour l'atteindre, traverser mille épreuves.
"Cette disparité entre l'essence et l'apparence", qui est proprement le fait d'un comédien, deviendra pour Shakespeare un thème des plus obsessionnels : il ne cessera de croître en ampleur et en intensité : des premiers divertissements de la Cour aux tragédies de la fourberie et de l'illusion. Cette difficulté de s'en remettre aux apparences procède, pour Shakespeare, d'une notion ambiguë de l'être, par quoi l'acteur se trahit pleinement.
Les plus grandes pièces de William Shakespeare culminent en ces moments fulgurants où "l'ordre en s'écroulant révèle le vice qui le rongeait". Par exemple, dans "Othello", où de scène en scène, au lieu de produire une vérité, l'action s'égare, s'épaissit, s'enténèbre au point que les acteurs en perdent presque leur consistance : "le vrai coupable ne sera pas assassin, mais l'assassin sera aussi victime, et dont la vraie victime (Desdémone) causera la perte à son insu".
Sur tous les plans, l'oeuvre de Shakespeare est un reflet de sa situation fondamentale. Contraint par son art-même, son art de comédien, à méditer sur les rapports de l'homme et de ses masques, nous le verrons peu à peu approfondir l'interrogation jusqu'à lui soumettre "l'histoire et le cosmos". D'autres thèmes, certes, donnent à cette oeuvre sa cohérence, mais celui-ci les résorbe, les suppose tous. Partout, nous rencontrons la même obsession, "le même désir de forcer l'apparence", de déterrer la vérité cachée dut-elle être désespérante. Est-il besoin pour se faire d'être "si grand serf, seigneur ou initié" ?
Aujourd'hui, William Shakespeare est devenu son propre mythe", au point que ses innombrables interprétations trahissent plus les secrets de leurs auteurs que les siens-mêmes. Par cette recherche acharnée d'une signification, nous retrouvons, "multiplié par quatre", son drame. Mais, ce drame, celui de toute connaissance, c'est sous le signe du théâtre qu'il a choisi de le résoudre. Le dernier voeu de Shakespeare, combien ironique, sera encore pour nous dérober son secret : "Et plus profond que la sonde atteignît jamais, je noierai mon livre". Il a magnifiquement réussi !
THE END.
Que ce soit Molière en France (de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin - usant d'un pseudonyme -, auteur et acteur) ou Shakespeare en Angleterre, tous les deux ont mis sur scène la nature humaine en essayant d'arracher le masque des apparences, en se gaussant de leurs contemporains dans les comédies ou en exagérant leurs troubles dans les tragédies. Même Jean de la Fontaine, dans ses Fables qui mettent en scène des animaux, arrache par ce biais original le masque des apparences.
Je comprends d'où je tiens cette exécration des apparences : mon jeune esprit de lycéenne avait dû déjà être façonné par mes lectures et mon intérêt pour le théâtre de Molère et de Shakespeare ainsi que par les Fables de La Fontaine. D'ailleurs, j'utilise fréquemment comme devise que j'ai fait mienne : "la diplomatie est la forme intelligente de l'hypocrisie", non pas que je refuse la courtoisie - forme de politesse qui permet d'appréhender les codes sociaux pour vivre en bonne harmonie avec ses semblables -, mais la fausse apparence que les gens donnent d'eux-mêmes, par intérêt, par tromperie ou peut-être parce qu'ils ne savent pas qui ils sont eux-mêmes.
La lecture : un excellent moyen d'évasion, certes, mais aussi de partage de connaissances, de gymnastique de l'esprit, de réflexion.
L'écriture : un mode de transmission de ses pensées et opinions, de ses sentiments et ressentis.
J'espère que je ne vous aurai pas ennuyé(e) avec mon exposé qui date de mes années de lycée.