La notion de justice et celle de charité sont deux notions souvent opposées, la première étant de l'ordre de la RAISON, la seconde venant du COEUR, du sentiment.
La justice est rigoureuse et donne une apparence de SÉVÉRITÉ alors que la charité fait appel à des sentiments de pitié, de tendresse et conduit au PARDON.
Cette opposition apparente est-elle acceptable ?
À première vue, la charité nous paraît bonne, alors que la justice qui devrait être bonne, nous paraît sévère, comme dans la Justice de Dieu par opposition à Sa miséricorde (par tradition).
Notion de Justice :
Le Juste, c'est le Saint (au sens très fort). Il s'agit de Dieu dans la Bible. Il est transcendant, il nous dépasse. Ainsi la justice serait-elle un caractère des oeuvres de Dieu, du Tout-Autre.
Dans une société évoluée, il y a ce qui est de l'ordre du SACRÉ et ce qui est de l'ordre du PROFANE. Il faut donc essayer d'élaborer une notion de justice au niveau de la société, des rapports des hommes entre eux qui conduit à l'élaboration du DROIT : le droit positif.
Il convient de se poser la question : qu'est-ce qui est juste ?
Définition du droit romain : la justice consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. MAIS comment faire pour savoir ce qui est dû à chacun ? Ce qui nous amène à la question suivante : qu'est-ce qui est dû à chacun ?
Première hypothèse :
C'est donner à chacun selon SES OEUVRES, comme donner à chacun selon son travail. D'après l'apôtre Paul, celui qui ne travaille pas ne mange pas, mais il n'est pas dit qu'il faille tuer celui qui ne peut pas travailler.
Cette idée est INACCEPTABLE, car il faut tenir compte des inégalités naturelles : des gens plus forts ou en meilleure santé, des gens plus doués, qui risquent "d'ôter le pain de la bouche" des autres, plus faibles. Ce qui nous amène à la
Deuxième hypothèse :
Il ne faut donc pas considérer le travail de chacun mais ses besoins.
C'est donner à chacun selon ses BESOINS.
Il s'agit d'une notion subjective humaine qui dépasse l'animalité. Le problème des besoins est réel car ils sont communs à TOUS les êtres humains : dormir, manger, boire, s'habiller, se chauffer, se loger etc. Cependant, on peut aller loin dans le raisonnement : ce qui est besoin pour une famille peut être du superflu pour une autre. Autre exemple : ce qui était du luxe à une époque donnée devient une banalité plus tard (comme le vélo).
Une autre question surgit :
Sommes-nous véritablement conscients de nos besoins ?
L'importance et la nature de ces besoins, et la façon dont on peut les satisfaire ne seront jamais ressenties de la même manière selon : la race, la civilisation, le pays, le climat, les moeurs, les us et coutumes, jusqu'à la conscience de chaque individu. Nous aboutissons donc à une impasse : cette définition de la justice n'est pas satisfaisante, elle semble relever d'un rêve.
Prenons le problème autrement.
Notion de Charité :
Autrefois, elle a été considérée comme un palliatif : la justice n'existant pas vraiment (trop d'injustices), la charité semblait s'exercer pour adoucir les méfaits de l'application de la justice.
Toutefois, si la charité n'était que cela, elle serait considérée comme :
- dangereuse car elle pourrait laisser subsister un effet d'injustice,
- mauvaise car un tel comportement serait :
* dégradant pour celui qui recevrait comme pour celui qui donnerait. En effet, par charité, on pourrait donner à quelqu'un ce qui ne lui est pas dû, alors qu'il préfèrerait recevoir SON DÛ ! Le bénéficiaire, en étant habitué à recevoir, pourrait cultiver cette facilité, donc la "mendicité",
* humiliant pour le donateur aussi, car il aurait conscience d'être particulièrement généreux (certains agissent ainsi pour se donner bonne conscience. Dans ce cas, le mobile est donc discutable).
Si la charité n'était que cette "pitié humiliante", elle serait inutile et il conviendrait de la faire disparaître. En fait, il ne s'agit que d'une caricature de la charité.
Qu'est donc réellement la charité ?
Sa vraie nature, la véritable définition de la charité n'est rien d'autre que l'attention à l'autre, l'ouverture de coeur par laquelle de véritables relations peuvent exister entre des personnes qui ne deviendraient elles-mêmes des individus libres que dans des relations de confiance, d'attention, d'intelligence, de compréhension de l'autre, toutes ces qualités définissant la véritable notion de charité.
Ainsi, n'est-ce pas cela qui est dû à l'homme :
- la possibilité de se réaliser avec dignité en tant qu'être humain
- le sentiment de se sentir aimé et apprécier
- le pouvoir d'aimer en retour les autres ?
Il n'y a donc pas d'opposition entre Justice et Charité, car elles poursuivent le même but, en empruntant des chemins différents pour y parvenir. Ce but consiste à ce que l'homme reçoive ce qui lui est DÛ :
- la justice est censée RENDRE à l'homme ce qui lui est dû
- la charité est censée DONNER à l'homme ce qui lui est dû
ces deux notions rencontrant les mêmes limites. En effet, il n'existe pas d'impartialité totale donc parfaite dans la société, car ces deux comportements - celui du juste comme celui de l'être charitable -, sont le fait d'êtres humains ayant également leurs propres limites, pouvant commettre des erreurs ou des maladresses. Là n'est pas le problème, cette analyse n'ayant pour objet que d'appréhender à leur juste valeur les deux notions de Justice et de Charité en faisant le parallèle entre les deux.