Né à Port-au-Prince en 1956, il vit aux USA de 1968 à 1975 avec sa mère divorcée. Issu de la bourgeoisie moyenne aisée par son père - avocat haïtien -, Lyonel Trouillot a libre accès à la bibliothèque paternelle. Ses lectures vont le conditionner. Il se plaît à dire que certains ouvrages l'ont "déniaisé", comme Les raisins de la colère, roman de John Steinbeck paru en 1939, dans lequel il découvre la pauvreté américaine.
Lyonel Trouillot est modeste ; en effet, bien qu'il ait à son actif une dizaine de romans, des recueils de poésie et d'essais, il préfère la définition de "citoyen haïtien qui écrit des livres" au "statut ambilieux d'écrivain" !
En septembre 2011 parait La Belle Amour humaine (éd. Actes Sud). C'est à son compatriote Jacques-Stephen Alexis - victime des tontons macoutes (1) en 1961 -, qu'il a emprunté l'expression "la belle amour humaine". L'un des personnages de son récit pose la question "Ai-je fait un bon usage de ma présence au monde ?" et Lyonel Trouillot confirme : "Quand j'oublie la question, la réalité se charge de la poser".
Contrairement à Dany Laferrière (auteur rencontré au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo), qui place la littérature au-dessus de tout engagement, le romancier et poète haïtien estime que les intellectuels ont des responsabilités à assumer en dénonçant les injustices et les inégalités. Il porte un regard attentif aux autres, et c'est tout naturellement qu'il participe régulièrement à ce festival des Etonnants Voyageurs de Saint-Malo.
En dehors de la bibliothèque de son père, c'est sa mère - fervente catholique - qui lui a transmis ce qu'il nomme "l'art de
la disponibilité" aux autres.
Son enfance a été "marquée par les chuchotements", sous le régime de terreur de Duvalier père. Pourtant, l'étudiant de 19 ans choisit de revenir vivre à Port-au-Prince, un choix politique décisif : "Je suis rentré à l'heure où Duvalier fils érigeait en système l'injustice économique et sociale. Sans parler de l'ouverture d'Haïti aux dérives de la dépendance."
La colère l'emporte sur sa douceur habituelle, quand, après le tremblement de terre qui a secoué l'île en 2010, il voit déferler les ONG. Il n'hésite pas à dénoncer cette reconstruction qui ne saurait s'engager "sans la confiance et le respect dus au peuple haïtien." Dans son ouvrage Refonder Haïti ? paru en Janvier 2011 (éd. Mémoires d'encrier), Lyonel Trouillot (avec d'autres intellectuels) a donné ainsi des pistes pour sortir avant tout des préjugés d'origine sociale et raciale.
Aujourd'hui, l'écrivain ne cesse d'enseigner la littérature pour une "nécessaire transmission". Il a baptisé du nom de sa mère le centre culturel ouvert récemment à Port-au-Prince, dans le quartier populaire de Delmas, où les enfants pauvres peuvent bénéficier d'une aide aux devoirs et de l'accès à une vaste bibliothèque dotée de 5000 livres.
Je terminerai par cette confidence de Lyonel Trouillot : "Comment être heureux quand le malheur est en si bonne santé dans le monde ? Puisque l'autre appartient à la même espèce que moi, je ne peux penser mon équilibre sans un dialogue avec lui."
Article de Lucile Gauchers, d'après les propos recueillis par Marie Chaudey dans l'hebdomadaire chrétien d'actualité n° 3446
(15 au 21.09.2011)
(1) Nom donné aux membres de la milice paramilitaire de François et Jean-Claude
Duvalier - les Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN).