C'était le sujet de la dissertation à rendre pour le 12 juin 1967 (en classe de première), avec "Commentez cette phrase". Vous la trouverez ci-dessous :
Victor Hugo, poète du dix-neuvième siècle, a été le plus populaire des poètes de son temps et il reste le plus populaire des poètes français. Même André Gide répondit à un enquêteur qui lui demandait le nom du plus grand poète français : "Hugo, hélas !". Pourquoi victor Hugo est-il le plus grand poète français ? Et pourquoi ce hélas !" ?
Victor Hugo manifeste dans son oeuvre certaines vertus incontestables. Tout d'abord, il faut considérer le volume de son oeuvre, sa fécondité qui est, chez lui, "l'aptitude à tirer de soi-même des formes toujours différentes de création". Sa poésie est la seule grande poésie, qui, en France, se soit déployée dans l'étendue avec aisance et faste. Ici la quantité fait déjà fonction de qualité.
La diversité est aussi une vertu incontestable de son oeuvre : Victor Hugo a fini par dépasser le mouvement littéraire de son temps pour suivre sa propre évolution. La diversité de son oeuvre est fonction de la liberté qu'il conçoit pour le poète : contrairement aux interdits classiques (qu'il récuse) et aux interdits modernes (qu'il ignore), V. Hugo voit dans "la poésie, un vaste jardin où il n'y a pas de fruit défendu" (Préface des Orientales). Pour lui "le domaine de la poésie est illimité" (Préface des Odes et ballades). Aussi aborde-t-il tous les thèmes, tous les tons : avec La légende des siècles, Victor Hugo donne à la France un exemple d'épopée ; avec les Châtiments, un exemple de satire politique ; avec certains poèmes dont La tristesse d'Olympio, un exemple de poésie lyrique ; avec Hernani ou Ruy Blas, un exemple de drame théâtral etc...
Le style hugolien est aussi un atout majeur. La richesse de son vocabulaire lui permet d'aborder tous les thèmes sans manquer de termes exacts. L'éclat des images, les métaphores, les antithèses (ex. : l'ombre appelle la lumière ; le crime appelle l'innocence ; le sublime appelle le grotesque comme Don César, grotesque devient sublime etc...) créent dans son oeuvre un réalisme poussé parfois jusqu'au morbide (ex. : Cromwell signant l'arrêt de mort de Charles I et barbouillant en même temps d'encre le visage d'un secrétaire. C'est la coexistence de comique et de tragique mais cela montre aussi le cynisme de Cromwell). V. Hugo acquiert progressivement "une sorte de souveraineté technique qui prend forme non plus d'une virtuosité mais d'une identité absolue du mouvement intérieur du langage".
Thibaudet écrit : "La royauté des mots, nul ennemi ne la lui conteste". Mallarmé dit de lui qu'il "fut le vers personnellement". Il faut donc compter comme vertu, sa connaissance approfondie et cultivée de la langue française : syntaxe et vocabulaire, ainsi que son immense imagination d'où résultent les métaphores, les images.
Pourquoi ce "hélas !" ?
Je crois qu'il s'agit surtout de son style ; malgré sa royauté sur les mots, certains disent qu'il est le moins verbal de tous à cause de son éloquence vide, sa déclamation insupportable. Certains voient en lui "le type de poète égaré dans les directions funestes de l'anecdote, du didactisme, de l'éloquence : on lui reproche d'avoir ignoré la rigueur, l'ambiguité, la pureté". Ex. : "un seul vers de Nerval, dit-on, pèse plus lourd que les dix mille vers des Contemplations ; les deux cent cinquante pages des Fleurs du mal l'emportent sur les dix mille pages de son oeuvre poétique".
Maître souverain des mots, il les manie avec une négligence déconcertante, entassant les répétitions, accumulant les mêmes épithètes, retrouvant les mêmes rimes, en un mouvement de "redite". Est-ce de l'inconscience d'un génie élémentaire, un manque de goût, un procédé de facilité et de paresse ?
Victor Hugo écrit dans William Shakespeare : "Tout dans le génie a sa raison d'être". On doit donc comprendre que cette monotonie, cette redite, ne sont ici ni une faiblesse ni une ruse du style mais qu'elles en sont l'une "des raisons d'être".
M. Raymond a signalé "son génie du grotesque" qui ne doit pas être confondu avec celui de la satire politique ou morale. Ce grotesque est révélé par son théâtre et on dit de lui "Un Hugo rabelaisien et "espagnol" s'y ébrout sous les haillons d'un picaro, dans un monde irrégulier, au milieu d'une nature déchiquetée, baroque, toute en excroissances et en tumeurs".
Enfin, malgré quelques défauts de Victor Hugo, entre autre son orgueil - personne n'est parfait en aucune matière -, Hugo reste le plus grand poète français. Le poète L.-P. Fargue dit de lui "Ce Hugo, c'était l'honneur de notre profession". Gautier voit en lui "un arbre immense", Sainte-Beuve le considère comme "un homme qui a des facultés extraordinaires et disproportionnées", Leconte de Lisle le compare à l'Himalaya, autant d'images qui concordent pour suggérer l'idée de la puissance et d'une démesure étrangère à ce que l'on est convenu d'appeler le génie français. Enfin Th. Maulnier voit en définitive en lui "la parfaite réalisation du mythe de l'homme des lettres" : "Une fois au moins dans l'histoire des lettres, une oeuvre a été consacrée à faire passer dans la légende humaine, non ses créatures, mais son créateur".
J'ai obtenu une note très honorable à mon devoir.
Appréciation de ma prof : "Un devoir bien composé, des idées exactes. Mais utilisation trop passive des appréciations des critiques : on aimerait trouver des citations, une étude précise des qualités de tel ou tel passage d'un poème !"
Pas facile de se mettre dans la tête d'un prof et de savoir exactement
ce qu'il souhaite trouver dans nos copies. J'imagine que les prof de lettres et de philosophie doivent avoir la tête "farcie" à la lecture de toutes ces copies d'élèves. Un sacré travail quand
même de leur part : préparer chaque cours, le présenter en classe et corriger donc lire un tas de dissertations. Chapeau bas !