À Arras, à deux pas du centre-ville, une ancienne clinique désaffectée vient d'être transformée en "maison du vivre ensemble" sous l'impulsion de l'office d'HLM local : Pas-de-Calais Habitat, d'associations et d'élus locaux.
Un objectif noble du bailleur social : tisser des liens entre les populations qui s'ignorent.
- L'îlot Bonsecours a accueilli progressivement une centaine de personnes dans des appartements rénovés à neuf. Se côtoient des familles avec enfants, attirées par la crèche installée au rez-de-chaussée, des cadres aux revenus élevés, mais aussi des personnes âgées encore valides et aux ressources plus modestes, enfin une douzaine de jeunes trisomiques qui, pour la plupart, étaient encore chez leurs parents.
- Deux jeunes filles porteuses de ce handicap, Céline et Sophie, ont décidé d'emménager en colocation dans un T3 lumineux de la résidence Bonsecours.
Sophie (21 ans) prépare les menus que sa mère compose et affiche dans leur cuisine. Quant à Céline, elle a apporté sa collection d'abécédaires qu'elle avait brodés et qu'elle a exposés sur les murs en guise de décoration. Il faut dire que Céline excelle en couture et en repassage ! Ainsi la jeune fille propose-t-elle ses services dans la résidence, rémunérés en chèque emploi-service.
- Marjorie "animatrice intergénérationnelle" soutient la tenue d'une boutique au rez-de-chaussée, dans laquelle des résidents handicapés vont, à tour de rôle, proposer à leurs voisins du pain frais et des denrées de base. Janine, une retraitée qui a emménagé le 1er mai 2011, donne son témoignage : "Je suis ravie. J'avais choisi cette résidence pour les commodités, mais je ne voulais pas rester seulement entre gens de mon âge. Je n'avais jamais eu de contact avec des personnes trisomiques auparavant. Un après-midi, Sophie a sonné à ma porte, et nous avons sympathisé. Depuis, on se retrouve régulièrement." Chaque vendredi à 16 h, Janine et Geneviève (une autre locataire) descendent au rez-de-chaussée, lire des histoires aux enfants de la crèche d'entreprise.
Une idée novatrice : créer "un lieu de vie où chacun a sa place, même le plus fragile"
explique Emmanuel Laloux, président de l'association Down Up - partenaire du projet. Il ajoute : "Dans les établissements et les foyers spécialisés, nos enfants restent trop souvent entre eux et ont du mal à progresser. Nous voulons les tirer vers le haut - "Up" -, et, pour cela, nous devons tous réapprendre à vivre ensemble."
Emmanuel Laloux a créé en 2010 le collectif Les Amis d'Eléonore, qui regroupe une trentaine d'associations de familles afin, dit-il de "lutter contre la stigmatisation liée à ce handicap. Nos enfants peuvent vivre et travailler dans la société, à condition qu'on leur fasse une place. D'un point de vue économique, c'est d'ailleurs beaucoup plus rentable pour l'Etat que de les prendre en charge." Sa fille Eléonore vient elle-aussi de s'installer dans un studio de l'îlot Bonsecours. Elle avoue : "Au début, j'appréhendais de vivre seule, mais, aujourd'hui, ça va mieux, je me sens libre et indépendante."
Une forte implication du bailleur social qui, pour renforcer la sécurité et les liens entre habitants, va équiper chaque logement d'une tablette numérique afin de connecter les locataires entre eux et à un réseau d'aides extérieures (numéros d'urgence, portage de repas à domicile...), et pour les jeunes trisomiques de rester en contact avec leurs parents qui pourront ainsi plus facilement veiller sur eux."
Un projet d'envergure pour ces jeunes personnes trisomiques, dont les parents restent quand même très présents. Alain Gabé, le père de Stéphanie, membre de l'association Down Up, confie que, pour ces jeunes handicapés, ce premier pas vers l'autonomie et l'indépendance, hors de la maison familiale, est "un moment délicat, mais qui est la suite logique de nos choix éducatifs."
Deux chercheurs en sciences sociales vont évaluer l'expérience en s'installant pendant un an à la résidence. Comme l'explique Laurent Dal de Pas-de-Calais Habitat : "en travaillant sur le vivre ensemble et l'intergénération, on s'est aperçus que d'autres pays avaient pris de l'avance, notamment le Québec. D'où l'idée de proposer un partenariat aux deux universités d'Arras et de Montréal, afin d'étudier le fonctionnement de l'îlot et son intégration dans la ville."
Alors, trisomiques ? Oui, mais avec des compétences réelles pour certains. Le problème majeur, Alain Gabé le rappelle ci-après : "[...] Et la plupart gagnent leur vie, même s'ils travaillent à un rythme adapté, car ils sont fatigables." Les employeurs doivent en tenir compte.
Espérons que la semaine de sensibilisation de l'emploi pour les handicapés saura interpeller des recruteurs.
Article de Lucile Gauchers, d'après les propos recueillis par Claire Legris pour l'hebdomadaire La Vie (n° 3446 - Cf.
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