En ces temps moroses, nous avons grandement besoin de cultiver la joie afin de nous armer pour être : "mieux dans sa vie, mieux dans sa tête".
Alexia Bohm (A. B.) a recueilli les propos du philosophe Frédéric LENOIR (F. L.) qui nous parle de son dernier livre : "La Puissance de la joie".
D'après lui, nous pouvons tous libérer de la joie en nous : elle serait accessible à tous, à portée de main. Il nous explique dans son livre comment y parvenir et répond aux questions d'Alexia Bohm.
F. L : "C'est une expérience qui s'apparente au plaisir, mais qui est plus profonde et plus complète que le plaisir". D'après lui, la joie toucherait "notre coeur, notre esprit, notre âme et notre corps". En somme, la joie serait une excellente thérapie pour l'Être dans sa globalité, dirais-je !
F. Lenoir différencie la joie du bonheur.
Pour lui, le bonheur serait fait "de stabilité, de sérénité, de paix", alors que la joie serait une énergie du moment, de l'instant. Il donne comme exemple les enfants chez qui la joie les envahit en totalité. Les enfants lorsqu'ils jouent sont entièrement dans la joie du jeu.
F. Lenoir affirme qu'il faut "supprimer les obstacles" qui font "barrage", et pour ce faire "les identifier" afin de libérer la joie qui est en chacun d'entre nous.
F. Lenoir a identifié deux "grandes voies" qui procureraient de la joie.
- L'une d'elle est personnelle, intimement liée à l'individu, comme il le dit : "être et se sentir pleinement soi-même en se mettant à l'écoute de ses vrais désirs".
- L'autre est externe à nous : "être en lien avec ceux que nous aimons, avec la nature [...], et avec le monde qui nous entoure [...]", que ce monde soit éloigné de nous ou tout proche (comme "le bureau juste à côté").
D'après F. Lenoir, "quand on se sent relié, en communion avec les autres ou avec le monde, alors la joie est là".
J'en conclus que la solitude, volontaire ou non, fait barrage à la joie : première identification !
F. L. : "La joie peut être présente dans presque toutes les conditions de vie". Il donne comme exemple l'Inde où il a travaillé dans des léproseries et des bidonvilles. Honnêtement, vous vous sentiriez joyeux, vous, dans de telles conditions ? Eh bien, lui, a constaté que les gens qu'il a rencontrés là-bas, vivant dans le dénuement, "étaient vraiment joyeux, rayonnants". D'après lui, "la joie est là dès que l'on accepte la vie comme elle est". Donc, les éternels insatisfaits sont par nature des personnes incapables de ressentir de la joie et de la donner aux autres, car ils veulent toujours plus et ne savent pas (ou ne peuvent pas) apprécier ce qu'ils ont.
F. Lenoir précise que lorsque l'on a la faculté d'accepter la vie comme elle vient, "cela ne veut pas dire se résigner". Il entend que "dès lors que l'on n'a pas le pouvoir de changer la donne, il faut lâcher prise et se tourner vers ce que l'on peut vivre de meilleur". Pour parvenir à ce "meilleur", il préconise de s'investir "davantage auprès des autres", d'écouter réellement les autres, d'apporter de l'aide quand on le peut, de savourer "les petits plaisir simples de la vie", d'être "attentif à la beauté qui nous entoure". Pour lui "Tout cela est gratuit et à notre portée : là réside la puissance de la joie". C'est ce qu'il a voulu démontrer dans son livre : que s'il fallait ne plus avoir de soucis pour être joyeux, nous pouvions attendre longtemps ! Même dans un monde en crise, il affirme que la joie est accessible à tous. Deuxième identification : se contenter de ce que l'on a quand on ne peut faire autrement.
Pour F. Lenoir, "l'aisance matérielle [...] n'est pas, en soi, un facteur de joie durable." Il donne comme exemple les conclusions d'une étude effectuée par des chercheurs américains sur cent gagnants du loto : la joie est réelle et très grande pendant environ six mois, chaque gagnant retrouvant par la suite leur niveau de bonheur antérieur au gain. Pour lui, même si le gain inattendu "facilite la vie, ôte des poids du quotidien, accroît le sentiment de sécurité, offre plus de liberté", il n'est pas un critère inhérent de la joie à moyen et long terme. Troisième identification : le matérialisme n'est pas synonyme de bonheur et de joie.
F. Lenoir part d'une réponse très personnelle en relatant sa "journée type". Il déclare qu'en se réveillant le matin :
1/ Il remercie d'être en bonne santé. Il pense que pour les personnes malades, c'est peut-être d'abord un sentiment de gratitude qui les anime, soit envers les soignants et/ou envers leur propre corps qui lutte au mieux. Pour lui "L'esprit de gratitude favorise la joie."
2/ Il médite un moment : "travail d'intériorisation pour mieux se connaître [...], pour prendre du recul et apaiser les émotions."
Puis, tout au long de la journée :
1/ Il se rend attentif au moment présent en appréciant tous les petits plaisirs de la journée.
2/ Il essaie de se remémorer; chaque soir, cinq moments positifs de sa journée.
En conclusion, pour lui, "il ne s'agit pas de courir après le bonheur, mais plutôt de porter son attention sur ce qui nous fait nous sentir joyeux et vivants."
F. Lenoir voit deux obstacles majeurs :
1/ "Les pensées et croyances négatives ou limitantes". Pour lui, tout ce qui est réducteur est construit "sur la peur et le manque d'estime de soi."
2/ "L'égocentrisme" prôné dans le monde occidental pour l'égo, le confort, ne pas être dérangé, la peur de l'autre etc., au final tout ce qui, en fait, nous rend malheureux à notre insu.
Il affirme que "Toutes les études montrent que l'altruisme (le contraire de l'égocentrisme) est l'une des principales sources de bonheur et de joie, avec la gratitude."
Altruisme et gratitude, qualités bien rares aujourd'hui et pourtant si précieuses, pour les autres comme pour soi. Mais, F. Lenoir nuance en disant qu' "il ne s'agit pas de se faire passer derrière les autres ou de se sacrifier pour eux, mais de sortir de l'obsession de soi. [...] essayer de se mettre plus souvent à la place de l'autre, être curieux de la différence, se soucier davantage du bien-être d'autrui, faire preuve de gratitude, proposer de l'aide..." Ce serait avec toutes ces choses que nous pouvons tous "libérer la source de joie qui est en nous."
D'après F. Lenoir, la culture familiale ou le parcours personnel de certaines personnes peuvent faire barrage à la joie, qui la rendrait "suspecte" à leurs yeux, voire même "effrayante".
Dans certaines familles, le positif serait à peine remarqué, car de l'ordre du normal, alors que les évènements négatifs seraient amplifiés en donnant l'occasion de se plaindre. Certes, dans la culture occidentale, les maladies graves, les deuils, les gros ennuis financiers par exemple constituent des obstacles aux émotions positives et empêchent de croire possibles la joie et le bonheur.
F. Lenoir évoque aussi une autre catégorie de personnes qui "pensent qu'être joyeux, c'est être inconscient, superficiel, ou que c'est le signe que l'on manque de rigueur intellectuelle". Pour lui, elles se trompent et se gâchent la vie ! Il les exhorte à effectuer un travail sur elles-mêmes afin d' "identifier ce qui les empêche d'accueillir la joie [...]."
Pour F. Lenoir, ce serait une question de "tempérament et sans doute de patrimoine génétique". Il a constaté qu'il existait "des familles joyeuses et des familles tristes". Mais il nuance en affirmant que la plasticité du cerveau pouvait inverser la donne de départ et la reprogrammer de manière positive pour peu qu'on le veuille vraiment et qu'on s'en donne les moyens : "on peut s'entraîner à la joie, décider de porter son attention et d'investir son énergie dans ce qui est positif, dans ce qui nous fait du bien." Pour lui, "les résultats obtenus sont tellement gratifiants que se crée rapidement un cercle vertueux." Il ajoute même qu' "il n'y a pas de déterminisme, pas de fatalité. Être joyeux, cela peut se décider."
F.L. : "Oui sans hésiter". La joie est quasi-permanente dans l'enfance - enfance normale bien entendu, au cours de laquelle la curiosité naturelle et les découvertes "produisent de l'émerveillement", et la capacité à inventer et à jouer renouvelle les plaisirs." Il a été constaté aussi que la joie enfantine pouvait rayonner dans l'entourage en procurant de la joie aux autres. Les enfants en grande souffrance ne peuvent pas ressentir ce sentiment de joie, hélas.
Une autre période est propice à la joie : celle de la vieillesse "lorsqu'elle est acceptée, qu'elle n'est pas parasitée par l'amertume et qu'elle n'est pas vécue dans l'isolement." Les personnes âgées prennent plaisir à savourer les bons moments à leur juste valeur : une visite, un sourire, une parole douce, des confiseries, une promenade, un bon petit plat etc. Le secret de la longévité des personnes âgées, encore bien portantes, réside sans doute dans leur capacité à être joyeuses.
F. L. : "Je les reconnais à leurs visages. Leurs yeux sont pétillants, ils sourient. [...] c'est de l'ordre du rayonnement."
Pour F. Lenoir, ces personnes rayonnent de la joie de vivre, ce qui les rend attirantes. Les autres se sentent bien en leur compagnie. Il émane d'elles une "énergie vitale contagieuse", et la joie qui irradie autour d'elles contaminent les personnes qui les entourent.
1/ Le sentiment de communier avec la nature : contemplation, marche, jardinage.
2/ Le dépassement de soi, la réalisation d'un objectif : remporter un défi personnel.
3/ L'échange et le partage avec les autres : sortir de l'isolement.
4/ Les plaisirs sensoriels : savourer une glace, un bon petit plat, des chocolats ; prendre le soleil.
5/ La mise en pratique d'un idéal (courage, altruisme, justice) : faire des dons (temps, argent...)
6/ La pratique d'une activité qui plaît, qui procure du plaisir et qui a un sens à nos yeux.
7/ La réception d'un cadeau inattendu de la vie tel qu'un sourire, un compliment, un mot gentil.
Alors, êtes-vous convaincu(e) que la JOIE peut changer votre vie ? Que sa puissance est bien réelle ?